Depuis quelques temps des fonds d’investissement s’invitent à la table des négociations pour faire plier les conseils d’administration et partager des propositions visant à accroitre les efforts de transparence ou en terme de stratégie RSE. Ces propositions auraient pu paraitre peu orthodoxes il y a encore quelques années, ils s’appellent Engine n°1, As You Sow, Share Action, TCI. Ce sont des fonds activistes spécialisés sur les thématiques de durabilité.

Le rôle historique de de la gouvernance – maximiser la richesse des actionnaires

La théorie économique néolibérale nous indique que le but d’une entreprise est de maximiser la valeuren capital des actionnaires. Cette idée repose sur des théories économiques et anthropologiques qui sont aujourd’hui fortement remises en cause avec l’idée sous-jacente de l’existence d’homo economicus, un être purement rationnel, égoïste et déconnecté de son environnement. Augmenter le capital des actionnaires leur permet de transformer le monde selon leurs propres valeurs morales et objectifs individuels.

Dans une telle définition du rôle de l’entreprise pas de place pour quelque chose comme la RSE (responsabilité sociétale des entreprises), c’est ce que pense le théoricien libéral Ludwig von Mises dans sa conception éthique du capitalisme. La question des externalités négatives ne relève donc pas du périmètre d’action de l’entreprise mais de celui de l’État. Du moins c’est ce que rappellent certains actionnaires aux administrateurs d’entreprises qui dévieraient un peu trop de leurs prérogatives historiques. Récemment le fonds d’investissement Bluebell Capital est parvenu à destituer le leader de la multinationale française de l’agroalimentaire Danone – Emmanuel Faber.

Le fonds a estimé que Faber n’avait pas rempli sa mission de concilier les objectifs de performance financière du groupe avec les nouveaux objectifs développés lors de son mandat. En effet, le changement de statut vers une entreprise à mission et le plan de repositionnement stratégique « Local First » est entré en contradiction avec les velléités internationales du groupe ce qui a impacté négativement sa performance financière. Les fonds Bluebell Capital et Artisan Partner ont alors réussi à mobiliser l’actionnariat très fragmenté de Danone pour inciter à la séparation des doubles fonctions de PDG-président, puis de pousser Emmanuel Faber à la sortie pure et simple du groupe. Cette pratique mêlant médiatisation et velléités financières obscures ne manque pas de rappeler le discours rocambolesque de Gordon Gekko sur les vertus de la cupidité dans l’iconique film d’Oliver Stone, Wall Street.

Gordon Gekko interprété par Michael Douglas dans le film Wall Street d’Oliver Stone en 1987

Pour les partisans de la finance durable considérant que le fer de bataille du changement vers un monde meilleur passe avant tout par un changement dans la gouvernance, et dont toutes les stratégies et opérations d’entreprises sont dérivées, l’ennemi est tout trouvé. En 2015, le fonds spéculatif activiste Muddy Waters déclare avoir vendu des titres Casino à découvert et lance par la même occasion une vaste opération de communication visant à démontrer la fragilité de la structure du capital de Rallye, la holding de contrôle du groupe. Lanceurs d’alertes ou manipulation illégale des cours ? L’AMF n’a pas tranché la question malgré de forts soupçons vis-à-vis du fonds spéculatif.

Peu importe la stratégie utilisée par les activistes : vente à découvert après avoir fait baisser la performance d’un titre ; favorisation d’une croissance rapide et succincte aux dépends de toutes autres considérations ; modification des termes d’une opération de restructuration, etc., le facteur commun de toutes ces stratégies dans le vieux paradigme du monde des affaires est souvent la recherche d’un profit à court terme au détriment de stratégies qui permettraient une vraie croissance durable des entreprises.

Changement de paradigme historique – l’activiste comme moteur de changement vers plus de durabilité

Nous avons vu que le rôle traditionnel de l’activiste actionnarial c’est de faire du profit à court terme en influençant la gouvernance des entreprises cibles. Pourtant il existe une autre face à l’activisme actionnarial : l’engagement actionnarial. Pirouette sémantique utilisée par les détracteurs des pratiques étudiées ci-haut – quand nous parlons d’engagement actionnarial il s’agit encore ici d’activisme actionnarial. Cependant ceux-là ont pour mérite de se placer du bon coté de la bataille par leur engagement visant à promouvoir une plus grande transparence des entreprises et/ou l’application de politiques plus vertueuses conciliant croissance et durabilité.

Exact opposé des activistes prédateurs, l’investisseur qui pratique l’engagement actionnarial se présente comme un investisseur désintéressé, ou du moins ayant un intérêt qui s’inscrit dans la durée plus que sur le court terme. C’est le cas par exemple du fonds spéculatif TCI (The Children Investment Fund) du très médiatique Sir Chris Hohn qui finance Greta Thunberg ou le mouvement Extinction Rebellion et gère pas loin de $30 milliards. Pour Sir Chris Hohn, une entreprise qui ne dévoilerait pas des indicateurs extra-financiers comme un bilan carbone ou l’intensité d’eau serait à mettre au même niveau en terme de transparence qu’avec une entreprise ne dévoilant pas ses bilans financiers. Cet amiral corsaire de la finance durable pousse encore plus loin l’engagement actionnarial en proposant des recommandations pouvant aboutir à des votes de défiance lors des conseils d’administration, si ignorées, voire à la vente des titres d’actions qui aurait pour effet d’engranger un emballement des marchés sur ces mêmes titres à la baisse.

L’invincible Armada espagnole se faisant détruire par les modestes forces du corsaire sir Francis Drake – allégorie de Sir Chris Hohn malmenant les dirigeants des entreprises dans lesquelles son fonds investit.

Une autre stratégie des fonds activistes ayant un objectif de durabilité, et qui peut nous sembler contre intuitive, est de sauter à pied-joints dans le capital des entreprises dont la plupart des investisseurs responsables appellent à se désengager. C’est le cas du fonds Engine n°1, actionnaire minoritaire du pétrolier ExxonMobil, qui vient récemment de publier un rapport visant à mettre en lumière les écueils de la ligne stratégique actuelle du groupe concernant les risques physiques et de transitions croissants. Engine n°1 n’a pour l’instant obtenu du pétrolier qu’un renforcement des ses objectifs de transition climatique parmi d’autres demandes comme l’élection de nouveaux administrateurs.

Conclusion

La finance durable peut être victime de certains paradoxes internes entre volonté de désengagement de ce qui touche de près ou de loin aux énergies fossiles comme en témoigne le développement croissant des fonds verts européens ou des labels verts recensés entre autres par la filiale de la caisse des dépôts Novethic. Une autre stratégie consiste à investir dans ces entreprises afin de faire pivoter leur développement vers un alignement avec les différents objectifs de durabilité comme les ODD (objectifs de développement durable) de l’ONU ou les objectifs de contenir le réchauffement climatique en dessous de la barrière d’incertitude des 1.5°C tels que fixés par les accords de Paris. A ce titre l’engagement actionnarial semble être un pôle stratégique essentiel de la transformation vers un monde plus durable.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *