La pyramide économique du monde
Le concept de “bas de la pyramide” (BoP) a été introduit par Prahalad et Hart dans leur livre “ The Fortune at the Bottom of the Pyramid” , et désigne les quelques 4 milliards de personnes en situation de pauvreté dans le monde qui, du fait de leur situation, sont exclus des marchés et du secteur privé.

Contrairement à la pensée traditionnelle selon laquelle les plus pauvres ne peuvent pas participer au marché mondial, Prahalad et Hart ont suggéré que ces 4 milliards de personnes qui forment le bas de la pyramide constituent une opportunité économique sous-exploitée. L’idée que le bas de la pyramide n’est pas un marché viable s’explique souvent par la non prise en compte de l’économie informelle. En effet, en raison du nombre de personnes faisant partie du bas de la pyramide couplé au fait que 40-60 % des échanges entre les populations les plus pauvres se font dans l’économie informelle, le bas de la pyramide représenterait en réalité un marché de plus de mille milliards de dollars.
Des bénéfices mutuels
Pour Prahalad et Hart, le secteur privé à tout intérêt à investir dans le bas de la pyramide et ce pour plusieurs raisons. D’abord car les investissements des multinationales dans le bas de la pyramide permettraient d’élever des milliards de personnes hors de la pauvreté. La seconde raison vient du fait que le marché au bas de la pyramide pose un nouveau défi managérial aux entreprises les plus riches du monde : vendre aux pauvres et les aider à améliorer leur vie en produisant et en distribuant des produits et des services de manière économiquement rentable, écologiquement durable. En résumé, les grandes entreprises sont poussées à innover et améliorer la qualité de leur offre, ce qui pérennise leur activité que ce soit en termes de croissance et de profits.
Rendre les populations à faible revenu acteurs
Toutefois, le secteur privé ne peut être le seul acteur à intervenir sur le marché du bas de la pyramide. Prahalad et Hart soulignent l’importance de former des partenariats avec les gouvernements, les ONG et les acteurs locaux. Ces alliances permettent de combiner les ressources et les compétences nécessaires pour atteindre les populations à faible revenu de manière efficace.
Les auteurs mettent également l’accent sur l’importance d’impliquer activement les populations à faible revenu dans le processus de développement de produits et de prise de décision. Cela permet de mieux comprendre leurs besoins spécifiques et de créer des solutions efficaces. En donnant aux populations à faible revenu un rôle actif, les entreprises peuvent bénéficier de leur expertise locale et favoriser une adoption plus rapide des produits et services proposés.
Le microcrédit au service du BoP
La Grameen Bank, fondée par Muhammad Yunus au Bangladesh dans les années 1970, a révolutionné l’accès aux services financiers pour les entrepreneurs pauvres qui étaient traditionnellement considérés comme insolvables. Son approche, celle du microcrédit, consiste en l’octroi de prêts de faible montant à des personnes qui manquent de références sur leurs antécédents en qualité d’emprunteurs et de garanties acceptables.
Les institutions financières traditionnelles ont souvent été réticentes à prêter aux populations les plus pauvres, du fait de leur probabilité plus élevée de défauts de paiement. Cependant, Muhammad Yunus a contesté cette notion et a introduit un modèle de prêt de groupe, où les emprunteurs formaient de petits groupes d’entraide et assumaient collectivement la responsabilité des prêts de l’autre. Cette approche novatrice a non seulement réduit les taux de défaillance, mais a également favorisé un sentiment de soutien mutuel et de responsabilité au sein de la communauté.
Le microcrédit a également traité le fardeau administratif qui était associé à l’octroi de prêts aux plus pauvres. Muhammad Yunus avait observé que les procédures traditionnelles de demande de prêt et les exigences en matière de documentation étaient souvent trop complexes et chronophages pour cette partie de la population. Il a donc introduit un processus de demande de prêt simplifié qui a permis aux emprunteurs d’accéder aux fonds plus rapidement et plus facilement.
Ouvrir l’entrepreneuriat aux femmes
Un autre aspect important de la microfinance est sa dimension de genre. La Grameen Bank a mis l’accent sur les prêts aux femmes, reconnaissant leur potentiel en tant qu’entrepreneurs et leur capacité à utiliser le crédit de manière plus responsable que les hommes. Aujourd’hui près de 95% des 2,3 millions de clients de la Grameen Bank sont des femmes, contre 74 % au niveau mondial. Cet accent mis sur l’autonomisation et l’indépendance économique des femmes a eu un impact transformateur sur de nombreuses communautés, entraînant une amélioration des conditions de vie et une plus grande égalité des sexes.
L’impact et le succès de la microfinance ont été mondialement reconnus lorsque Muhammad Yunus a reçu le prix Nobel de la paix en 2006. Cette reconnaissance a attiré l’attention sur l’importance du microcrédit dans la réduction de la pauvreté et le développement socio-économique.
Un développement des institutions de microfinance
Aujourd’hui, il existe plus de 10 000 institutions de microfinance dans le monde, dont on estime qu’elles ont atteint plus de 800 millions de ménages grâce au microcrédit. Ces institutions continuent d’élargir l’accès aux services financiers pour les pauvres, offrant non seulement des microcrédits mais aussi des comptes d’épargne, des assurances et d’autres produits financiers adaptés à leurs besoins. Si la rentabilité des institutions de microfinance reste relativement faible par rapport aux banques traditionnelles, l’impact social et l’autonomisation qu’elles génèrent sont inestimables.
Limites du microcrédit
Les taux d’intérêt des prêts de microcrédit sont généralement plus élevés que les taux d’intérêt traditionnels, avec une moyenne mondiale de 37%. Or, les bénéficiaires de microcrédit, du fait de leur faible niveau de revenu, ne peuvent se tourner vers d’autres alternatives traditionnelles et subissent les taux d’intérêts agressifs de certaines institutions de microfinance. En conséquence, les emprunteurs doivent rembourser des montants plus importants. Si ces taux d’intérêt élevés ne sont pas pris en compte dans le calcul de la capacité de remboursement de l’emprunteur, cela peut entraîner des difficultés financières et un risque de surendettement. Malgré cela, le taux de remboursement des emprunteurs de microcrédit atteint 95%
Enfin, certaines activités de microcrédit ont été critiquées pour leur détournement potentiel de fonds destinés à des programmes humanitaires. En outre, plusieurs études ont démontré que les effets sur le développement économique et l’autonomisation des femmes étaient bien moins importants que ce qui est généralement soutenu.

Sources
Barkemeyer, R. (2022, mars 29). Business, CSR & International Development: Poverty alleviation [pdf].
Guérin I. (2015), La microfinance et dérives. Emanciper, discipliner ou exploiter?, Paris, Demopolis, 2015.
Microcrédit. (2023, May 25). In Wikipedia . https://fr.wikipedia.org/wiki/Microcrédit
Prahalad, C. K., Prahalad, C. K., Fruehauf, H. C., & Prahalad, K. (2005). The Fortune at the Bottom of the Pyramid . Wharton School Pub.